Aubergiste
Découvrez le rôle essentiel des auberges en Nouvelle-France : un lieu de rencontre pour voyageurs, marchands et coureurs des bois. Plongez dans l’histoire des tavernes, du vin, du rhum et des repas typiques de l’époque coloniale.
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L’aubergiste
« Enseigne de taverne, fin du 17e siècle » (Musée canadien de l'histoire)
L’aubergiste tenait une maison meublée où il accueillait, hébergeait et nourrissait les voyageurs, les passants et ceux qui n’avaient pas de foyer établi, en échange d’une compensation.
Bien que semblables, les auberges, cabarets et hôtels se distinguaient par certaines caractéristiques. En Nouvelle-France, l’auberge était un lieu simple où l’on pouvait boire, manger et se loger, tandis que le cabaret se spécialisait davantage dans le service d’alcool, généralement en petites quantités. L’hôtel, quant à lui, offrait un hébergement plus confortable, tout en proposant également de quoi boire et manger. Toutefois, jusqu’au XVIIIe siècle, ces distinctions restaient floues. En 1726, une réglementation obligea les tenanciers à indiquer clairement la nature de leur établissement : hôtel, cabaret ou auberge.
« L'auberge Neptune, vue en direction du fleuve, 1830 », aquarelle de James Pattison Cockburn (Bibliothèque et Archives Canada)
Quel que soit l’établissement, le client trouvait principalement du vin et de l’eau-de-vie (rhum, guildive, calvados, cognac), ainsi que de la bière et du cidre. Des restrictions encadraient toutefois la vente d’alcool : elle était interdite après certaines heures en soirée, pendant les offices religieux, et certaines villes interdisaient la vente de certaines boissons aux autochtones. Le café et le thé étaient moins courants à cette époque en raison de leur coût élevé.
L’histoire des auberges en Nouvelle-France débute au milieu du XVIIe siècle, lorsque Jacques Boisdon obtint le droit d’exploiter une auberge et une pâtisserie. Un nom prédestiné pour un aubergiste !
Jacques Boisdon, premier aubergiste de Québec, 1648
Une plaque commémorative est installée au 20-22, côte de la Fabrique, à Québec. Elle se lit comme suit :
Pour apporter réconfort aux colons courageux et favoriser la bonne entente, le Conseil de la Nouvelle-France accordait, le 19 septembre 1648, à Jacques Boisdon la permission d’opérer ici la première auberge de Québec. Ce privilège lui est consenti à condition de fermer son établissement les dimanches ainsi que pendant les fêtes et offices religieux.
Une légende veut que le bedeau, chargé par l’église de maintenir le bon ordre, fouille scrupuleusement chaque chambre en passant sa canne sous les lits afin de chasser quiconque occuperait les lieux durant la messe.
En ces murs, témoins de vives rencontres, résonnèrent rires et confidences des colons, coureurs des bois et soldats réunis. Ici, l’espace d’un moment on oubliait terres hostiles, misère et épidémies. Une seule devise faisait loi : fraterniser, festoyer et se réchauffer le cœur et l’âme pour oublier les rigueurs de l’hiver et les tracas de la survivance.
« Plaque de Jacques Boisdon », photo de Jean Gagnon (CC BY-SA 3.0)
En Nouvelle-France, l’intendant était responsable d’accorder les permissions nécessaires pour ouvrir une auberge ou un cabaret. Cette autorisation n’était octroyée qu’aux personnes dont l’honnêteté était reconnue et qui présentaient un « certificat de bonne vie et mœurs » rédigé et signé par le curé de leur paroisse. Ce permis était valide pour une durée d’un an seulement.
Ordonnance publiée dans la Gazette de Québec, le 14 juillet 1766 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
L’aubergiste devait s’assurer de fournir à son client un lit garni, du bois pour chauffer sa chambre, une chandelle, et les repas. Il doit aussi prendre soin d’éviter le scandale dans son auberge, ainsi que les blasphèmes, l’ivrognerie, et les jeux de hasard.
Ordonnance publiée dans la Gazette de Québec, le 25 janvier 1781 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
Les auberges, tavernes et cabarets étaient au cœur de la vie sociale et économique, rassemblant commerçants de fourrure, voyageurs et autres en quête de rencontres ou d’affaires. On se retrouvait pour échanger des nouvelles, discuter d’affaires ou simplement se détendre. Les auberges jouaient souvent un rôle crucial dans la diffusion des informations locales et régionales, les voyageurs y apportant des nouvelles d’autres régions.
« Voyages dans le Bas-Canada en hiver », aquarelle de Philip John Bainbrigge, vers 1838-1841 (Bibliothèque et Archives Canada)
Une aubergiste du XVIIIe siècle (« The Ale-House Door »), peinture de Henry Singleton, vers 1790
L’auberge devait avoir « une salle basse, une cour ou un jardin », c’est-à-dire un espace assez grand pour y mettre des bancs et des tables pour les clients. Cette salle se situait souvent au rez-de-chaussée. Souvent, il s’agissait de la cuisine elle-même. Sous le régime français, une auberge comptait en moyenne six pièces. La famille de l’aubergiste, notamment sa femme, participait activement à la gestion de l’établissement. En cas de décès de l’aubergiste, il n’était pas rare que sa veuve prenne la relève et devienne elle-même aubergiste. Elle assumait également la gestion des affaires lorsque son mari partait en voyage. À Québec et Louisbourg, 10 à 15 % des aubergistes étaient des femmes. Le mari pouvait même avoir un métier supplémentaire, comme charpentier, marchand, ou tonnelier, pendant que sa femme gère l’auberge.
Que mangeait-on dans les auberges de Nouvelle-France ?
La cuisine des auberges de Nouvelle-France était simple et reposait sur des aliments locaux ou faciles à conserver. Les plats variaient selon les saisons et l’approvisionnement.
Pain et céréales : Le pain, souvent fait de farine de blé ou de seigle, était un aliment de base. Dans certaines régions, il pouvait être accompagné de bouillie d’avoine ou de maïs.
Viandes : Les auberges servaient généralement de la viande salée ou fumée (porc, bœuf, gibier) en raison de la nécessité de conserver les aliments sur de longues périodes.
Poissons : Dans les régions proches du Saint-Laurent, le poisson séché ou salé, comme la morue, était une option courante. On trouvait aussi de l’anguille.
Légumes et potages : Les potages à base de légumes de saison (chou, carottes, pois) étaient une solution abordable pour nourrir les clients.
La qualité de l’accueil et des services rendait une auberge populaire ou non. Un aubergiste généreux, offrant des portions abondantes ou des services personnalisés, gagnait souvent une excellente réputation et attirait une clientèle régulière. À l’inverse, un établissement négligé pouvait rapidement être évité par les voyageurs.
« Auberge Pinard, Bas-Canada », aquarelle de William Henry Edward Napier, vers 1860-1870 (Bibliothèque et Archives Canada)
« Vue de Québec depuis la porte Prescott », aquarelle de Thomas Mower Martin en 1860 (Bibliothèque et Archives Canada)
Annonce dans la Gazette de Québec, le 25 mai 1809 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
Annonce dans la Gazette de Québec, le 9 mai 1811 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
Annonce dans le Quebec Mercury, le 9 mars 1812 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
L’histoire des auberges et des établissements de boisson en Nouvelle-France et au Québec ne manque pas d’anecdotes et d’analyses fascinantes. Voici deux balados à découvrir :
Histoire des bars à Québec : ça virait très fort en Nouvelle-France — Une chronique humoristique diffusée sur FM93 qui plonge dans l’ambiance festive et parfois tumultueuse des bars d’antan.
Entre ancrage et passage : les auberges de Montréal (1837-1842) — dans cet épisode du balado dans les coulisses de l’histoire, l’historienne José Désorcy explore le rôle central des auberges dans le Montréal du XIXe siècle, à la fois lieux de passage pour les voyageurs et espaces de sociabilité urbaine.
Femmes qui ont exercé ce métier : Anne Lamarque (« la Folleville »), Agnès Maufay, Françoise Jacquine Nadreau (« la Saint-Michel »), Marie Robitaille
Hommes qui ont exercé ce métier : Pierre Aguerre Cadet, Louis Algrain, Pierre Ally, Pierre André dit Lafontaine, Jacques Aubuchon, Pierre Babin dit Lacroix, François Baillargeon, André Baudin dit Sansrémission, Jacques Bausang, Pierre Beaudry, Raphaël Beauvais, Louis Bellefeuille, Urbain Bellorget, Philippe Benoît, François Bergeron dit Lajeunesse, Jean Bernard dit Beausoleil, Jean-Baptiste Bernard dit Jolicoeur, Joseph Béland, François Bergnac dit Lafleur, Pierre Berthelot, Jacques Bezeau, Jean-Baptiste Bizet, Nicolas Blain, Nicolas Boissy, Joseph Bonnet, Guillaume Boucher, Joseph Bouret, François Brébion dit Sanscartier, Jacques Brisard, William Brown, Jean Bureau, Pierre Bu(i)sson dit Subtil, Duncan Campbell, Jean Cachelièvre, Étienne Campion dit Labonté, Alexander Cairns, Maurice Cardin, Léonard Casnin dit Desgranges, Mathieu Castagnet, Thomas Chapman, Gabriel Chartier, Charles Chauveau, Jacques Cheval dit Saint-Jacques, Louis Clermont, Antoine Clopin, Claude Collet, Pierre Côté, Louis Coursolles, Pierre Cousin, Jean Crétot dit Lespérance, Michel Cureux dit Saint-Germain, Jean Pierre d'Aubigny, Anselme Damphousse, Louis Damphousse, Jean Daniau dit Laprise, Louis Enouil dit Lanoix, Charles David, François Delard, Jean Deliasse, Julien Delière dit Bonvouloir, Jean Denis, Pierre Depoix dit Parisien, François Delard, Joseph De(s)barras, François Desboeufs, Jean Dessein dit St-Pierre, Joseph Dessaint dit St-Pierre, Pierre Drapeau, Jean Dubuc, Nicolas Duchesne, Joseph Dubois, Claude Dudevoir, Luc Dufresne, Simon Dufresne, Joseph Étienne dit Durivage, Benjamin Fagnant, Étienne Ferrière, Thomas Fichet, Robert Foucher dit Saint-Aubin, Joseph Fournier, John Franks, Pierre Gagné, Jean Ga(s)tin dit Saint-Jean, Louis Gatte dit Bellefleur, Jean-Baptiste Gaudreault, Jean Gaufreteau dit L'Épée, Joseph Gauthier dit Saint-Germain, François Georget dit Tranquille, Joachim Girard, Louis Gobert, John Gordon, Charles Gouin, André Goupille, Pierre Guénet, Charles Guérard, Simon Guillory, André Guy, Édouard Houle, Jean-Baptiste Huberdeau dit Lafrance, Joseph Huot, François Janis, Jacques Joignet dit Lafrance, Louis Judon, Louis Juselin dit Condé, Léonard Jusseaume, Louis Justin dit Condé, Jean Laberge, Jean-Baptiste Lacoudray, Jean LaBranche dit Laflamme, François Maurice Lafantaisie, Séraphin L'Huissier, Jean LaFerre, Denis Lafontaine, Pierre Lamothe, Étienne Land(e)ron, Charles Langelier, François Laperche, Jacques Larcher, Jean Laroche, Jean-Baptiste Larcher, René Leboeuf, Jean-Baptiste Leclerc, Julien Leclerc, Antoine Lecomte, Jean-Baptiste Lecocq dit Saint-Onge, Edmond Lefebvre, François Lefebvre, Jean Lefebvre, Pierre Lefebvre, François Lemieux, François Lemoine dit Bourguignon, Jacques Lepage dit Roy, Louis Leroux dit Lachaussée, Simon Lescot, Michel-Eustache Letellier, Antoine Letellier dit Lespérance, Jean Levasseur, Pierre Lourdin dit Galand, Séraphin Lussier, Pierre Maillou, Jean Mailloux, Joseph Malouin, Jean Marchand, Pierre Marcheteau dit Desnoyers, Joseph-Étienne Martel, Joseph Martineau, Jean Mathieu dit Laramée, Daniel McCart(h)y, Daniel McDonald, Duncan Mckenzie, Alexandre Meneu, Joseph Méthot, Gilles Monier, Jean Moran, Marin Moreau dit Laporte, Pierre Nadon dit Letourneau, Isaac Nafrechou, Jean Noël, Jacques Nolin, Laurent Normandin dit Sauvage, Théodore Panneton, Jean-Baptiste Paré, René Patry, Alexis Peloquin, Jean Petit dit Lamarche, Pierre Petit(ot) dit Desmarais, François Picard dit Laroche, Jacques-Charles Pinguet Montigny, Jean Charles Pol(a)ingre, Louis Prat, Miles Prentice, Louis Prévost dit Dix-Sept, Charles Rancourt, Pierre Rebel, John Reid, Jean-Baptiste Renaud, Antoine Ritchot, Guillaume Robidoux, Jean Robin, Jean Robitaille, Jean Robin, Pierre Robin, David Ross, Michel Rouillard, Jean-Baptiste Roy dit Desjardins, Pierce Ryan, Joseph-Alexandre Sabatté, Jacques Sachet, Jacques Samson, Jean Samson, Jean Sargnat dit Lafond, William Sedgwick, Jean Simon, Pierre Simon, Jean Simonet, John Simpson, Pierre Souvigny, Jean-Baptiste Tétrau, Jean Tourangeau, Charles Trépanier, Antoine Vallée, John Vanderheyden, Antoine Varambouville, Nicolas Vernière, Antoine Vidal, Robert Voyer, James Woods
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Bibliographie :
Catherine Ferland, « Bacchus en Canada : boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France, XVIIe-XVIIIe siècles », Thèse de doctorat, Université Laval, 2004.
André Lachance, Vivre à la ville en Nouvelle-France (Outremont, Québec : Éditions Libre Expression, 2004), 256-270.
Marie-Claude Poliquin, « Les aubergistes et les cabaretiers montréalais entre 1700 et 1755 », mémoire de maîtrise, McGill University, 1996.
Stéphane Tessier, « Auberges et cabarets en Nouvelle-France » (http://www.stephanetessier.ca/aubergesetcabaretsenNouvelle-France.htm).
« Vie quotidienne : Divertissements », Musée canadien de l’histoire, Musée virtuel de la Nouvelle-France (https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/vie-quotidienne/divertissements/), recherche originale de Gilles Proulx, Ph.D.
Répertoire du patrimoine culturel du Québec, « Plaque de Jacques Boisdon » (https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=108583&type=bien), Gouvernement du Québec, Ministère de la Culture et des Communications.